Barroso chez Goldman Sachs
Rien ne parvient mieux à unir les populistes, les conspirationnistes et l’establishment politique européen que les soupçons autour de Goldman Sachs. Dans “l’affaire Barroso”, comme on l’appelle en France, la banque d’investissement américaine a touché un nerf sensible en recrutant l’ancien président de la Commission européenne. Mettons-nous à la place de Goldman. A priori, c’était une bonne idée. Quelle meilleure réponse aux soucis de l’Europe que de recruter José Manuel Barroso, ancien Premier ministre du Portugal, président durant deux mandats de la Commission européenne?? Il peut conseiller, ouvrir des portes et symboliser l’engagement de cette banque dans l’Europe post-Brexit comme chairman de Goldman Sachs International. Ce n’est pas ce qui s’est passé?: le retour de bâton a été meurtrier. “Inacceptable moralement” s’est écrié le président Hollande. “Pas vraiment surprenant pour ceux qui savent que l’Europe ne sert pas les peuples mais la haute finance” a commenté Marine Le Pen. Presque 150?000 personnes ont signé une pétition appelant la Commission à priver M. Barroso de sa retraite. Il s’est écrit de nombreuses choses sur les collusions entre Commission et groupes privés, le pantouflage, l’éthique. On s’interroge sur l’instinct politique de M. Barroso, qui semble l’avoir déserté à l’heure de son départ à la retraite. ““Inacceptable moralement” s’est écrié le président Hollande. “Pas vraiment surprenant pour ceux qui savent que l’Europe ne sert pas les peuples mais la haute finance” a commenté Marine Le Pen” Mais l’affaire Barroso est fascinante à plus d’un titre. C’est un instantané de l’humeur fébrile qui règne en Europe?: anti-establishment, anti-banques, anti-Bruxelles, anti-américaine. Elle trahit aussi la réticence de l’Europe à reconnaître les causes très intérieures du malaise que soulèvent les banques. Loin d’être sans tâches, Goldman Sachs n’est probablement qu’une anecdote. Les populistes ont horreur de l’admettre, mais la crise bancaire en Europe a autant à voir avec la basse finance que la haute. “La crise en Europe n’a pas été une crise des marchés des capitaux ou des banques d’investissement sophistiquées, mais une crise des banques normales. En gros, plus la banque est normale, plus ses affaires sont banales, plus il y a eu des problèmes” résume Nicolas Véron du think-tank Bruegel. “On est encore en plein déni. Nous devrions avoir dépassé depuis longtemps l’étape de la prise de conscience, savoir qu’il s’agit d’une crise intérieure. Le détonateur a été américain, mais la charge explosive est européenne.” Pour comprendre le scandale Barroso, écoutez le commentaire de Jean-Claude Juncker?: “Personnellement, je ne vois pas de problème à ce qu’il travaille pour une banque”. En d’autres termes, si M. Barroso avait choisi une autre banque, et même une autre banque de Wall Street, rien de tout cela ne serait arrivé. Quelque chose dans Goldman Sachs exacerbe l’indignation. Beaucoup de raisons ont été données. Pour certains, le péché originel est l’implication (aux côtés d’autres banques) de Goldman Sachs dans le s subprimes qui ont entraîné la crise financière de 2007. D’autres invoquent le rôle de Goldman dans le maquillage du déficit budgétaire de la Grèce par des opérations coûteuses de produits financiers dérivés. Mais jauger la moralité de Goldman Sachs nous distrait du véritable problème. Si M. Juncker avait accusé les politiques qui officient dans les conseils d’administration des banques, il aurait accusé l’ensemble de la classe politique, surtout en Allemagne, où le jeton de présence dans les conseils d’administration des banques publiques est une routine pour un politique allemand. Il existe effectivement à Bruxelles des règles qui restreignent le type d’activités que peuvent exercer les anciens commissaires. Mais pas grand-chose pour empêcher les membres du Parlement européen d’accepter des postes dans des sociétés sur lesquelles ils légifèrent. Pour finir, prenons le cas de la banque italienne Monte dei Paschi di Siena, une banque qui tangue dangereusement. C’est un bourbier européen absolu. La vénérable institution bancaire “couche” avec les politiques depuis des siècles, et finançait par exemple le centre-droit italien. Des régulateurs au cœur tendre l’ont autorisée à vendre des produits financiers très risqués à de petits épargnants crédules et à repousser sans cesse l’heure de s’attaquer à ses propres problèmes.