Les lents changements européens
Pendant une semaine, l’économiste James Galbraith, professeur à l’Université d’Austin (Texas), est venu épauler son ami Yanis Varoufakis, tout juste nommé ministre des Finances du gouvernement d’Alexis Tsipras, leader du parti de la gauche radicale Syriza. Objectif : apporter un soutien informel aux équipes grecques chargées de négocier un nouvel accord avec les Européens afin de mettre fin au programme d’austérité accepté par les précédents gouvernements. Aux premières loges pendant les discussions à Bruxelles, il décrypte pour "L’Obs", le compromis qui en est ressorti, loin du virage à 180 degrés espérés par les électeurs grecs. Lorsque l’on demande à Galbraith ses impressions sur le fonctionnement de l’Eurogroupe, il part d’abord d’un grand éclat de rire… "J’ai travaillé au Congrès américain (2), explique-t-il dans un excellent français. Et je trouve le fonctionnement des institutions européennes assez particulier". Il cherche un peu ses mots et poursuit : "Il y a une certaine spontanéité, un manque de procédure tout à faire remarquables… Or il y a 19 ministres, avec des motivations singulières dans certains cas, c’est donc tout-à-fait étonnant qu’ils parviennent à faire quoi que ce soit. Ce n’est pas du tout comme un gouvernement". Amateur serait-il le mot qui lui manque ? "Oui, amateur, c’est tout-à-fait ça", acquiesce-t-il sans hésiter. Pour lui, dans les discussions, ce sont les institutions de la Troïka, cette instance chargée de mettre en œuvre le plan d’austérité, pourtant honnie par les Grecs, qui se sont montrées les plus "professionnelles". Il cite le Fonds monétaire international (FMI) et la Commission européenne. "Ce sont les deux institutions qui ont joué le rôle le plus important, que je sache. Elles ont essayé de trouver le bon moyen d’avancer. Elles ont essayé d’apprécier et de respecter les bornes des deux côtés et surtout de faire face à la réalité politique et économique grecque". Cela n’a pas été le cas des ministres ? Visiblement pas, à en croire Galbraith : "pour certains gouvernements - et je ne parle pas de l’Allemagne - c’était évidemment une question de survie politique interne, en face notamment de l’opposition montante anti-austérité dans leur propre pays". A qui pense-t-il ? A trois pays en particulier : l’Espagne, le Portugal et la Finlande, confrontées à une montée du parti populiste de droite. "Dans le cas de l’Allemagne, explique l’économiste, c'était plutôt une position juridique et idéologique que Mr Schaüble [le ministre des finances] a tenue d’une façon très forte jusqu’au moment où il a fallu absolument qu’il cède quelque chose". Pour ce ministre, la Grèce n’avait pas d’autre choix que de respecter à la lettre tous ses engagements passés. "Il ne voulait rien céder", exigeant de fait des Grecs "une capitulation totale ou la sortie de l’euro", explique Galbraith. D’où le blocage, jusqu’à ce que la Chancelière Merkel infléchisse légèrement la position et entrouvre la porte à un accord possible entre la Grèce et ses créditeurs, y compris l’Espagne, le Portugal et la Finlande. Pour les Grecs, c’est tout de même un accord a minima et certainement pas la remise en question du logiciel européen qu’ils espéraient et que James Galbraith appelait de ses vœux, avec Yanis Varoufakis, dans leur livre "Modeste proposition pour sortir de la crise de l’euro". L’Europe reste dominée par l’orthodoxie budgétaire allemande. Une déception voire une grande claque ? "Non", affirme le professeur. Il faut accepter que le changement vienne lentement. Il commence avec la Grèce mais il doit se poursuivre avec d’autres".