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Notre liberté individuelle

On a espéré prouver psychologiquement l'existence d'une liberté individuelle par l'examen des cas où nous choisissons entre des choses équivalentes et indifférentes. Rien de plus éloigné, au premier abord, que le déterminisme mécanique et cette liberté d'indifférence ou d'équilibre. On ne tarde pourtant pas à découvrir entre ces doctrines une foule de points communs qui peuvent en préparer le rapprochement dans une notion plus scientifique. Tout d'abord, elles ont également pour fond des idées d'équilibre et de mouvement, des idées mécaniques; et elles ne semblent guère, l'une et l'autre, s'élever au-dessus des considérations de forces ou de quantités. La liberté d'équilibre serait plus physique que morale; car le problème moral, que du reste nous ne voulons pas poser encore, ne se pose jamais dans l'indifférence. De même que les mathématiciens réduisent ce qu'on appelle jeux de hasard à des jeux de nécessité mathématique, de même, peut-être, cette sorte de jeu et de hasard intérieur qui semble constituer la liberté d'indifférence s'explique-t-il par les règles générales du mécanisme, auxquelles il paraissait d'abord faire exception. Le mécanisme et la liberté d'indifférence s'accordent à reconnaître dans la sensibilité, dans l'intelligence, dans l'activité, des cas d'indétermination et de statique mentale qui se ramènent à des états d'équilibre. Mais, l'un et l'autre système le reconnaissent aussi, cette indifférence intérieure, dans nos diverses facultés, n'est jamais que partielle: le repos absolu serait pour nous la mort. La sensibilité semble parfois dans un état de complète indifférence; mais, avec un peu d'attention, on y découvre toujours quelque sentiment confus, qui enveloppe un effort plus ou moins pénible ou un déploiement plus ou moins agréable d'activité. Je puis d'ailleurs, en faisant attention à quelque objet, soustraire ma réflexion, sinon mon être tout entier, à ces petits changements qui surviennent dans ma sensibilité. C'est alors que celle-ci paraît indifférente; mais cette indifférence n'est pas absolue: car je prends intérêt et plaisir à diriger ma pensée dans ce calme même des sens, comme une barque sur des eaux endormies et indifférentes. En l'absence de tous les autres plaisirs, celui-là reste; il ressemble au sillon que la barque produit à sa suite sur la surface qu'elle traverse: tout autre flot a disparu, mais celui-là suffirait encore pour faire tressaillir la masse des eaux et y entretenir un mouvement perpétuel.



23/03/2016
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